la ville horizontale

De ce projet sur la ville, il s’agit du premier volet, la ville de Paris. Ce travail est une recherche de l’âme de la ville à

travers ses monuments, ses architectures ; recherche de l’âme, de l’essence du monument, à travers une synthèse, une

fusion de la photographie et du dessin. Les planches sont le fruit de cette synthèse. 

Première étape, une photo d’ensemble, un panorama. Puis une recherche du détail, du particulier, pour donner le profil, la silhouette au monument. Enfin, le dessin qui va à l’essentiel et permet d’individualiser le monument.    

Le dessin, une fois exécuté, en quelques traits seulement, est imprimé grâce à un procédé photographique mis au point dans ma chambre noire.              

Après avoir sélectionné un papier précieux, proportionnel en taille au négatif, j'émulsionne ce papier au bromure d’argent. Les coups de pinceau, donnés au hasard puisque exécutés dans l’obscurité de la chambre noire où le papier et le pinceau se distinguent à peine, moins encore l’émulsion qui ne laisse aucune trace, prennent une signification et confèrent une autre dimension. Puis la lumière agit, et le résultat apparaît, magique : texture de matière,  formation du squelette du monument, vague rappel à l’incision.

Le noir est dense, profond, la nuance de gris apparaît dans le grain de l’émulsion, dans les coups de pinceau qui laissent apparaître la vigueur du geste. La lecture est immédiate. L’architecture ressort avec efficacité, ne laissant pas la place au doute. Elle est synthétique, quintessenciel. L’imaginaire a dès alors tout l’espace pour s’exprimer.

 

 

 

 

 

 

 

33x50cm beaubourg

 

33x50cm  arc carrousel

 

33x50cm  champs élysées

 

33x50cm  colonnes buren

 

33x50cm  saint germain

 

33x50cm  fontaine saint germain

 

33x50cm  géode

 

33x50cm  grilles parisiennes

 

33x50cm  institut monde rabe

 

33x50cm  joconde

 

33x50cm  les halles

 

33x50cm  moulin rouge

 

33x50cm  notre dame

 

33x50cm  opéra bastille

 

33x50cm  palais royal

 

33x50cm  panthéon

 

33x50cm  place vendôme

 

33x50cm  pyramide

 

33x50cm  sacré coeur

 

33x50cm  sainte chapelle

 

33x50cm  tour eiffel

 

33x50cm  trocadéro

 

 

 

préambule par renaud siegmann sur "la ville horizontale"

 

De ça, il y a fort longtemps déjà, les Chinois inventèrent un jeu de construction qu’ils nommèrent « tangram » - en mandarin, « Tch’i Tch’iao pan » - pour désigner « la plaquette de sagesse » qui répond à l’antique exigence : « c’est dans la limitation que le maître se révèle ». D’après ce que veut encore la légende, son origine n’aurait plus d’âge. Ainsi, créé pour le seul plaisir de la méditation, le puzzle se présente comme une tablette carrée divisée en sept parties invariables : un carré, un parallélogramme et cinq triangles de dimensions différentes. Apparemment inconciliables, les éléments du casse-tête permettent cependant l’élaboration de milliers de formes géométriques, des plus simples aux plus complexes ; la représentation de personnages et d’animaux, de plantes et d’objets constituant l’essentiel des motifs répertoriés. De sorte que – et c’est là que réside son pouvoir déroutant – l’ensemble aboutit comme par magie à une expression si avancée qu’il ne s’agit plus, à proprement parler, d’un système, mais d’une véritable métaphore comportant toutes sortes de transformations possibles.

A l'instar du « tangram », de la même manière exactement, Marco Baldini s’amuse à mettre notre habileté à l’épreuve du regard. D’ailleurs, quand d’après un recueil d’éléments planimétriques, l’artiste choisit de montrer près d’une quarantaine de points de vue consacrant Paris, et par conséquent l’esprit fondateur qui en dicta l’architecture ces siècles derniers, que devrait-on y découvrir qui ne soit une reformulation subversive d’une capitale aux contours par trop édifiants ? D’autant qu’à partir de ces combinaisons épurées, notre créateur n’en a laissée volontairement subsister que les lignes parfaitement visibles et identifiables.

Malgré tout, rien ne renvoie d’office à l’inflexion qu’énonce l’artiste à l’orée de sa promenade initiatique. D’abord, ce qui saute aux yeux, entre le typique et l’individuel, le stéréotype et l’énigme, c’est la commune mesure, infuse, assimilée. Tandis qu’à l’échelle humaine, l’étagement des coupoles, des terrasses et des balcons, le retrait des toitures, des quinconces et des frondaisons n’apparaissent d’habitude que très indistinctement au point que cette découpure de Paris chevauche souvent l’idée de l’ordre ; voilà qu’ici, la ville se détache sur l’axe longitudinal de l’horizon ; son profil à l’accoutumée brisé, cassé, hérissé d’obstacles emboîtant là, et sans heurts, le pas des volumes sur le chemin des belles équivalences. D’où notre hésitation à ne pas forcément reconnaître du premier coup d’œil ces coupes lumineuses ainsi que ces lointains vestiges dont la parenté remonterait à notre subconscient. Ou de faire mine peut-être de les voir pour la première fois, de les voir sans jamais les avoir reconnues auparavant. Ou serait-ce que rendues à d’autres dimensions ces topographies parisiennes n’en défendent que plus ardemment leur mystère vivant ?

 Bref, ce qui compte dès lors, ne sont-ce pas ces autres parcours, ces réseaux propres à instaurer une relation d’intimité concrète, du fait de leurs supports déterminés en fonction des contingences géographiques, de leurs situations subordonnées au périmètre de notre flânerie qu’accompagne parfois l’inattendu ? Ne sont-ce pas ces éventails graciles et puissants signalant les diverses voies qui composent en plusieurs sens l’idée de l’urbanisme, des modèles et de leurs substrats dont on comprend mieux qu’ils établissent non seulement la physionomie, le conditionnement et l’équilibre de Paris, mais aussi ses métamorphoses successives, ses différents états de civilisation ?

Mais l’intérêt, comme toujours, est autre part. Pour preuve : ces compositions pragmatiques dont on ne pourrait enlever un trait au risque de voir l’ensemble de désagréger sous l’invisible poussée du vide et d’écrouler comme un château de cartes. Sur ces fonds inertes marqués par l’omniprésence du noir ou du néant, rien n’est en outre plus passionnant que ces constats de géomètre dont les procédures visuelles organisées sur le mode de l’anamorphose sont aussi celles d’une gestualité de la forme brève déplaçant a fortiori les termes de l’architecture, la libérant des lois terrestres.

Avec Marco Baldini, qu'est-ce que l’on trouve donc ? Pas tant l’édifice, le palais, le musée, la cathédrale. Plutôt l’emblème, le cloisonné, le fétiche, la miniature indo-persane. Au fond, ce sont eux qui l’autorisent le mieux à rompre avec les routines du contexte touristique. C’est qu’il faut rêver ces réseaux orthogonaux dont les valeurs expressives dépendent si étroitement des intervalles qui les rapprochent et les séparent ; c’est qu’il faut oser se perdre parmi ces itinéraires éclectiques, pour ainsi dire intuitifs, que Marco Baldini possède de Paris en remettant à plat des formes sculpturales comme on taillerait dans un bloc qui n’est pas de la pierre mais du dessin d’où jaillissent plutôt qu’elles ne se déroulent ces ossatures, ces charpentes.

Pour autant, ces lieux qu’il désigne le sont aussi volontairement sans aucune limite, comme s’ils retournaient davantage d’ébauches que de plans épigones. Ambiguïtés. Curieusement, quelques détails prélevés sur tel ou tel schéma restitueront de temps à autre des indices précieux au-delà de ces inévitables effets d’optique, permettant de lever un coin du voile, à droite, à gauche, sur ces fragments conventionnés, si ce n’est illustrant le phénomène du « ressouvenir » d’un lieu particulier et la force mnémonique de son image. Par extension, ces maquettes n’apparaissent comme « cryptées » que dans la mesure où l’angle de vision occulte la silhouette familière ou la perspective du sujet concerné. De la sorte, chaque effigie se multiplie-t-elle par la suivante, créant un damier de sentiments contrastés le long de sa crémaillère historique. Par répétition, l’idée de la ville figure à travers chaque icône comme le chaînon d’une trame toujours plus importante, ainsi que les mots d’une même phrase qui se complète pour s’enrichir.

Après quoi, plus d’épaisseur organique. En revanche, l’âme de la ligne et l’âme de la forme. D’un geste, l’existence d’un croisement fait oublier l’objet citadin, l’angle nu s’efface constellé d’imprévisibles sillages, leurs points d’impact savamment reliés entre eux évoquant jusqu’à ces merveilleux semis d’étoiles. En soi, le dépaysement, mais pas l’égarement total, puisque l’unidimensionnalité du plan et l’intégrité des lignes sont de toute façon sans recours. Aussi qu’importe la nature des bâtiments passés en revue. Car la fantaisie du spectateur, au même titre que celle du dessinateur, doit pouvoir tirer de ces aménagements cardinaux un bonheur analogue, adapté à ses connaissances du grand mobilier urbain. Et qu’il se rapporte à des structures symboliques d’hégémonie politique ou sociale, administrative ou culturelle, ce tour-là des monuments de Paris ne saurait être borné à quelque enclos pétrifié, non plus un espace de simulacre, mais seulement un véritable espace plastique. Si ce n’est un asile plus vaste que la ville elle-même et dont, en fin de compte, le message est si dépouillé, qu’il s’accommode presque du silence.

 

renaud siegmann   -   paris, mai 1999

 

 

 

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